Poésie

Traduction de Miguel Ángel Real

Si mon père me dit

Si mon père me dit: Sois un homme
je me recroqueville comme une larve,
j’enfonce mon abdomen sous le hameçon.

Mou, comme un mollusque sans coquille,
je me sens démantelé, je tiens le coup.

Je me demande alors
à quoi sert d’avoir appris quatre langues
si on n’entend pas les mots sous l’eau,

si je ne sais qu’écrire des poèmes.

(Actos impuros, Hiperión)

Monstre

Je souhaite éveiller des soupçons,
que les hommes me crient dessus dans la rue,
je veux me promener dans des centres commerciaux, des parcs publics
et que des mères comme ma mère lèvent et baissent le regard
et après, pendant qu’elles préparent le dîner pour leurs enfants,
que le souvenir d’une nouvelle race d’hommes les assaille
brièvement.

(Actos impuros, Hiperión)

Apocalypse masculin

Le monde à l’envers :
les viscères en dehors,
le pénis et les testicules cachés dans la poitrine.

(Actos impuros, Hiperión)

Du jour où je me suis trompé de bar

Je suis de ce genre d’amis
qui demandent toujours une autre tournée dans les bars.
Je n’ai pas d’enfants,
je suis le fils unique d’une dynastie de bâtards
qui se remplit l’estomac et s’autodétruit.

Mes amis, cependant, sont des parents,
de ceux qui cherchent une excuse pour rentrer tard à la maison,
ils m’invitent toujours à un autre verre,
ils ne veulent jamais que je parte.

Ils me regardent et cent fois
ils me racontent cent fois à quel point c’est difficile
la chance que je.
Ils ne voient pas les fourmis qui grimpent sur ma jambe,
ils ne les voient pas.
Ils boivent du temps avec leur bouche de parents,
ils avalent du temps avec leur salive de parents
et je deviens de plus en plus petit
et leurs enfants de plus en plus grands.
Et à quarante, à cinquante ans,
je retournerai dans le même bar au coin de la rue
et alors ceux qui aujourd’hui sont des enfants se demanderont pourquoi
tant de fourmis dans ma bouche,
pourquoi l’ami de leurs parents croit toujours qu’il est jeune.

A cinquante, soixante ans,
qui me conduira chez moi,
qui gardera mes os sous les draps. A soixante ans, peut-être, à soixante-dix
qui répondra à mes questions,
qui me dira à quel point c’est difficile,
la chance que je
quand un jour je me tromperai et que je demanderai une autre tournée
devant la seule lumière de mon réfrigérateur.

(Actos impuros, Hiperión)

 

Source: La Piraña